Acessibilidade / Reportar erro

Blasphème, Sacré et Politique: quelques réflexions sur Golgota Picnic

Blasphemous, Sacred and Politic: some reflections on Golgota Picnic

Résumé:

Golgota Picnic est un spectacle mis en scène par le dramaturge et metteur en scène Rodrigo Garcia, la première fois en janvier 2011 à Madrid. En raison de l’utilisation récurrente de la figure de Jésus-Christ, ce spectacle a provoqué la réaction violente de certaines associations catholiques qui l’ont considéré comme un blasphème. À partir d’une analyse du spectacle, cette étude cherche à identifier comment la déclinaison théâtrale de certains éléments obscènes et potentiellement blasphématoires peut révéler certaines tensions sur lesquelles se fonde encore aujourd’hui la relation entre production artistique et instances de contrôle.

Mots-clés:
Rodrigo Garcia; Golgota Picnic; Blasphème; Corps; Dramaturgie

Abstract:

Golgota Picnic is a performance by Rodrigo Garcia staged for the first time in Madrid in January 2011. Due to the frequent use of the image of Christ, the performance has been attacked by some Catholic associations, which have considered it blasphemous. Starting from the analysis of the performance, this essay wants to identify how certain obscene - and potentially blasphemous - features of a performance could reveal some tensions between artistic production and control institutions.

Keywords:
Rodrigo Garcia; Golgota Picnic; Blasphemy; Body; Dramaturgy

Resumo:

Golgota Picnic é um espetáculo dirigido pelo dramaturgo e diretor teatral Rodrigo Garcia, apresentado pela primeira vez em janeiro de 2011 em Madri. Devido ao uso recorrente da figura de Jesus Cristo, esse espetáculo provocou uma reação violenta de algumas associações católicas, que o consideraram como blasfêmia. A partir de uma análise do espetáculo, o estudo busca identificar como, no teatro, a presença de elementos obscenos e potencialmente blasfematórios pode revelar algumas tensões que servem de base, ainda hoje, à relação entre a produção artística e as instâncias de controle.

Palavras-chave:
Rodrigo Garcia; Golgota Picnic; Blasfêmia; Corpo; Dramaturgia

Introduction

Golgota Picnic est un spectacle du metteur en scène hispano-argentin Rodrigo Garcia, créé à Madrid le 7 janvier 2011GARCIA, Rodrigo. Golgota Picnic . Trad. fr. Christilla Vasserot. Besançon: Les Solitaires Intempestifs , 2011. et représenté pour la première fois en France au théâtre Garonne de Toulouse, puis à Paris au Théâtre du Rond-Point à l’occasion du Festival d’Automne de 2011.

Bien que le spectacle fasse encore partie du répertoire du metteur en scène, sa célébrité est malheureusement due aux protestations que la pièce a suscitées de la part de certaines associations extrémistes catholiques et aux différentes tentatives de censure ou de boycott qu’elle a essuyées. D’après ses détracteurs, le spectacle de Garcia est à considérer comme blasphématoire et irrespectueux envers la figure de Jésus-Christ1 1 Jean-Pierre Cavaillé a fait une analyse ethnolinguistique très intéressante du discours et de la composition de ces groupes (Cavaillé, 2013). . Pourtant l’esthétique complexe créée par le metteur en scène s’inscrit dans une dynamique de provocation et de désacralisation qui ne vise pas les questions religieuses en particulier, mais prend implicitement pour cibles une série de puissances économiques qui envahissent notre quotidien: Google, Apple, McDonald’s, etc.

Il donne ainsi forme à un chiasme symbolique où le détournement de l’iconographie sacrée devient, en réalité, un portrait cru et impitoyable de la société de consommation2 2 Voir aussi Baudrillard (1970). . Dans cette perspective, la définition même de blasphème élargit son champ d’action3 3 Au cours des siècles passés la particularité du blasphème consistait précisément dans sa capacité à révéler la dialectique entre société et instances de contrôle, que celles-ci soient religieuses ou institutionnelles: “L’étude de la ‘parole impie’ dévoile très vite l’enjeu essentiel: celui des relations entre les sociétés et les pouvoirs” (Cabantous, 1998, p. 11). .

Golgota Picnic est devenu ainsi un enjeu politique et social dès ses premières représentations4 4 Voir aussi Salino (2011); Heliot (2011). . Un grand nombre d’articles a commenté et critiqué le cas Golgota, c’est pourquoi dans le champ des études théâtrales on a souvent eu l’impression qu’une approche plus spécifiquement théâtrologique serait superflue. Les six ans qui nous séparent de la première représentation nous offrent pourtant un regard diffèrent et la possibilité d’analyser le spectacle avec davantage de recul historique. L’hypothèse de départ est donc la suivante: indépendamment des intentions du metteur en scène, Golgota Picnic est un spectacle profondément politique. Son originalité se fonde sur la capacité de déplacer le discours sur un plan qui permet, sous son apparence religieuse, de réfléchir à la puissance des images et de leur ambivalence dans la société contemporaine. C’est pourquoi le but de l’article ne sera pas de faire une analyse exhaustive du spectacle de Garcia, mais de comprendre pourquoi certains éléments dramaturgiques - habituellement considérés comme obscènes, blasphématoires ou tout simplement vulgaires - ont produit une véritable déflagration de significations politiques et sociales.

Entre Corps Obscène et Corps Sacré: le corps blasphème

Du point de vue esthétique, Golgota Picnic s’insère dans la trajectoire des productions précédentes du metteur en scène hispano-argentin, trajectoire caractérisée par le refus net de certains éléments: il n’y a pas d’histoire, pas de personnages clairement définis, pas de dialogue entre les acteurs. Ces derniers, en outre, interprètent un texte sans relation explicite ni avec les actions, ni avec les images produites sur scène5 5 La question du jeu des acteurs de Rodrigo Garcia est très complexe. Laurent Berger (2016) en a parlé récemment dans une interview très intéressante: Loriente, Cunill, Navarro, Lloansi, Escamilla, Romero, Berger. . Les textes, écrits par Garcia lui-même mais récités à la première personne par les acteurs, se suivent comme une série de monologues de différentes longueurs.

Dans Golgota Picnic, la situation de départ est celle d’un pique-nique surréel et grotesque. À part le titre de la pièce, le spectateur ne dispose d’aucun élément pour identifier ce lieu comme le Golgotha. D’ailleurs, l’espace scénique se présente comme une étendue de pains à hamburgers. Accueilli par une étrange odeur de pain à son entrée dans la salle, le public se trouve face à une composition d’objets facilement identifiables: chaises de pique-nique, glacières, récipients pour la nourriture et une petite caméra vidéo amateur, montée sur un trépied. Quatre acteurs entrent en scène l’un après l’autre, mais ils ne portent aucun costume particulier, ils sont habillés en jean et t-shirt, une actrice porte une jupe6 6 Les acteurs sont Gonzalo Cunill, Núria Lloansi, Juan Loriente, Juan Navarro, auxquels s’ajouteront, dans un second moment du spectacle, Jean-Benoît Ugeux et le pianiste Marino Formenti. .

Le spectacle commence, l’actrice allume la petite caméra vidéo qui projette son visage sur un écran géant faisant office d’arrière-plan. Le premier monologue commence: “En vérité, je vous le dis, qui n’a pas le sens de l’humour n’entend rien à la vie” (Garcia, 2011GARCIA, Rodrigo. Golgota Picnic . Trad. fr. Christilla Vasserot. Besançon: Les Solitaires Intempestifs , 2011., p. 76).

La caricature de l’incipit récurrent des évangiles (En vérité, je vous le dis) offre une première clé de lecture aux spectateurs: simple, claire, directe, mais, justement pour cela, erronée. Dès le début, Garcia indique une voie qu’il ne prendra pas, recherchant volontairement l’ambivalence et l’égarement. À part cette phrase initiale, en effet, les premiers monologues sont dénués de référence au Christ, aux textes sacrés ou à la religion. La narration alterne de très brèves descriptions de la violence humaine et des récits de petits paradoxes quotidiens portés à l’excès. Comme l’a bien souligné Bruno Tackels: “Dans les descriptions mentales de Rodrigo Garcia, il s’agit toujours de pousser les logiques dans leurs extrêmes extrémités” (Tackels, 2007, p. 43).

Les actions des acteurs suivent la même logique. Elles peuvent se référer à l’iconographie sacrée, mais dans une évolution continue de figures, une accumulation difforme d’événements. Ainsi, par exemple, une posture qui rappelle celle du Christ en croix devient une danse de groupe. Les acteurs se dénudent, dansent, jouent des instruments, se roulent dans le magma boueux de pain et de peinture qu’est progressivement devenue la scène. Les nudités sont exhibées, les corps se mélangent mais en évitant scrupuleusement tout type de sensualité. Les acteurs s’utilisent eux-mêmes comme matériel organique, troublent les usages conventionnels de leurs corps, les rendant ainsi obscènes.

En effet, ce n’est pas la nudité elle-même qui rend ces corps insupportables, mais précisément le fait que l’acteur nu ne fasse allusion à aucune situation où la nudité est ordinairement acceptée. Son corps s’aventure dans le territoire de la trivialité obscène et surtout gratuite, donc inacceptable.

Cependant, ce n’est qu’en descendant au niveau du vandalisme obscène, où la description verbale de la putréfaction contemporaine sert de contrepoint à un être humain montré dans son abrutissement, que le lien entre texte récité et actions devient perceptible:

Rodrigo Garcia connait mieux que quiconque ‘le virus du pouvoir’, cette chose qui annule toute liberté et engendre dans le monde une épidémie de laideur et de médiocrité. Son théâtre satirique est, dans une bonne mesure, une ontologie du sordide. Son écriture compulsive nous offre un carnet de bord de la putréfaction contemporaine qui, avec une énergie démentielle, finit par se présenter comme un vandalisme obscène (Castro Flórez, 2014CASTRO FLÓREZ, Fernando. Hasta la risa está enmierdada. Una aproximación al teatro indignado de Rodrigo Garcia. Primer Acto: Cuadernos de investigación teatral , Madrid, n. 346, p. 114-119, 2014., p. 117)7 7 Version originelle: “Rodrigo Garcia conoce de sobra ‘el virus del poder’, eso que anula todas las libertades y genera en el mundo una plaga de fealdad y cutrez. Su teatro satírico es, en buena medida, una ontología de lo sórdido. Su escritura compulsiva nos ofrece un cuaderno de bitácora de la putrefacción contemporánea que, con una energía demencial termina por presentarse como obsceno vandalismo” (Castro Flórez, 2014, p. 117, traduit par nos soins). .

L’acteur de Garcia ne représente pas, il se montre, se dévoile dans sa propre obscénité. Le refus de toute exigence représentative est fondateur de la poétique de Garcia. Mais dans Golgota Picnic, cette prise de position cohabite avec un univers esthétique d’images hautement représentatives et d’allusions à l’iconographie sacrée. Le dispositif symbolique du spectacle surgit donc de la friction entre un corps (celui du performer) qui ne veut pas représenter et un univers d’images qui essaient de représenter l’irreprésentable, c’est-à-dire le divin.

Une sorte de triangle se forme alors où, entre les deux sommets que sont le corps obscène (celui du performer) et le corps sacré (celui de l’iconographie chrétienne), s’insère un troisième sommet: le corps du spectateur. Ce dernier donne sa forme à tout le système. Selon la sensibilité du témoin, le triangle peut prendre une connotation blasphématoire, sacrilège, iconoclaste, ou pas. Établir cela indépendamment du spectateur n’a pas de sens8 8 L’intervention de l’historienne Jeanne Favret-Saada est intéressante à ce sujet. Selon elle, le concept de blasphème peut en effet être étudié presque exclusivement dans sa dimension systémique, à savoir en rapport avec la société, et aux codes qui le définissent comme tel: “Un énoncé n’est pas qualifié de blasphème en raison d’un contenu qui lui serait particulier mais par une opération de jugement [...] Il n’est pas de blasphème en l’absence de juridiction” (Favret-Saada, 1992, p. 257). . C’est pourquoi il est fondamental de préciser le statut particulier que revêt le spectateur chez Garcia.

Le Spectateur au Pique-nique

La relation spatiale entre salle et scène apparaît comme très simple car il s’agit, de fait, d’une disposition frontale classique. Toutefois, la présence de la caméra vidéo au centre du pique-nique crée des effets de dilatation de la présence des acteurs. Le dispositif, on l’a vu, est assez simple: la caméra vidéo montée sur un trépied est manœuvrée par les acteurs eux-mêmes; les images filmées par la caméra sont projetées sur l’écran géant qui constitue le fond de la scène. Durant toute la première partie, le jeu des acteurs s’adresse parfois au public, d’autres fois à la caméra9 9 Ce dispositif provoque parfois une situation très singulière pour le spectateur, dans la mesure où celui-ci voit l’acteur en chair et en os s’adresser à la caméra tandis que son image, agrandie sur le fond de la scène, semble s’adresser directement à lui. Paradoxalement, c’est alors l’image de l’acteur, et non l’acteur lui-même, qui s’adresse au spectateur. . Un détail non négligeable est que la caméra est montée à la même hauteur que les visages des acteurs assis au pique-nique, de sorte que même lorsque les acteurs ne s’adressent pas directement à la caméra (qui continue quand même à transmettre les images filmées en direct), ce que le spectateur voit projeté sur l’écran coïncide parfaitement avec le point de vue d’un hypothétique cinquième convive du pique-nique, assis avec les autres. De cette façon, le spectateur se trouve dans une sorte de double point de vue: d’un côté celui, externe, de témoin, de l’autre celui, interne, de participant. Ce double point de vue devient une tenaille dans laquelle le spectateur est contraint, y compris par la violence perceptive, à une mobilisation complète, qui engage directement ses sens et sa chair. Le vandalisme obscène de Garcia déchaîne ainsi des réactions instinctives, comme le dégoût ou la répulsion, qui empêchent le spectateur de développer une perception exclusivement détachée ou conceptuelle de l’œuvre10 10 Cette tentative est explicitée dans le texte même du spectacle: “Elle est révolue, l’époque où on jouait sa vie pour des causes perdues, où on risquait sa peau. À présent, tout se fait avec de la distance, à distance, avec froideur et, paraît-il, intelligence. Tu parles. Peu importe qu’il s’agisse d’un maire ou d’un artiste conceptuel: vous faites des mouvements, des mimiques et votre auditoire esquisse illico ce petit sourire à la con qui sous-entend ‘je t’ai compris, j’ai pigé, j’ai saisi le clin d’œil, tu fais allusion à Godard, j’imagine’. Une communauté spécialisée dans les clins d’œil. En somme, toute votre vie n’est que clins d’œil” (Garcia, 2011, p. 29). . Le spectateur est mal à l’aise, troublé, mais pour cette raison sollicité et impliqué. La provocation devient d’une certaine façon une demande de complicité lancée au spectateur:

Et si la provocation était, dans le fond […] la manière la plus authentique d’entrer en contact avec le spectateur, en le reconnaissant comme un véritable partenaire, comme coproducteur du spectacle en train d’être représenté? (Macasdar, 2014MACASDAR, Philippe. Un espectador que no se escandaliza es un espectador muerto. Primer Acto: Cuadernos de investigación teatral , Madrid, n. 346, p. 141-145, 2014., p. 142)11 11 Version originelle: “¿Y si la provocación fuera, en el fondo [...] la manera más autentica de entrar en contacto con el espectador, reconociéndolo como un verdadero socio, como coproductor del espectáculo que se está representando? ” (Macasdar, 2014, p. 142, traduit par nos soins). .

La Dramaturgie des Directions Opposées et le Blasphème Sacré

Ce qui a été décrit jusqu’à maintenant concerne la première partie du spectacle. Sur une durée totale d’environ deux heures, cette section dure une heure et quart. Durant cette première partie, et accompagnant l’entrecroisement de monologues et d’actions toujours plus extrêmes des acteurs, on assiste à de sporadiques apparitions d’un personnage énigmatique, un acteur habillé en serveur de McDonald’s. Ce personnage ne parle pas, n’apparaît que rarement sur la scène et n’interagit avec les autres acteurs que pour servir du Coca-Cola ou des hamburgers. À quarante-cinq minutes de la fin a lieu la transition entre la première et la deuxième partie. L’espace scénique, qui est devenu entre-temps un tas de déchets, une pâte de pain et de peinture, héberge un piano à queue parfaitement lustré. L’acteur vêtu en serveur commence à se déshabiller, en regardant le public, sans cacher sa timidité naturelle. L’un après l’autre, les vêtements tombent à terre, jusqu’à ce qu’il se retrouve complètement nu, l’air embarrassé, devant le public. Puis il se tourne, s’assied sur le tabouret, et commence une interprétation magistrale de Die Sieben letzten Worte unseres Erlösers am Kreuze (Les Sept dernières paroles du Christ en croix) composée par Joseph Haydn en 1786 pour la célébration du vendredi saint à la chapelle de Santa Cueva de Cadix. L’acteur est le pianiste Marino Formenti, qui, une fois abandonnés ses habits de serveur, interprète un hommage au divin. Hommage écrit il y a plus de deux cents ans par un compositeur animé, d’après les biographes, d’une fervente et sincère foi catholique. Les autres acteurs, assis par terre, suivent en silence.

Le spectacle est donc nettement divisé en deux. Un dialogue aussi intense qu’énigmatique s’instaure entre les deux parties, et là se cache le potentiel explosif de l’œuvre12 12 Laurent Berger écrit à ce sujet, établissant un parallèle avec un autre diptyque de Garcia, Muerte y reencarnación en cowboy: “Comme dans Golgota Picnic […], la force de la composition réside dans la manière dont les sédiments de la mémoire reçoivent et interprètent à la distance le second mouvement du spectacle, et dans la conviction que cette interprétation appartient a chacun personnellement” (Berger, 2014, p. 158, traduit par nos soins). Version originelle : “Como en Gólgota Picnic […], la fuerza de la composición reside en la manera en la que los sedimentos de la memoria recibe e interpretan en la distancia el segundo movimiento del espectáculo y en la convicción de que esa interpretación nos pertenece individualmente”. .

Encore une fois, Garcia met en place ce jeu de déplacement de sens que nous avons vu dès les premières phrases du spectacle: présenter une situation symboliquement claire pour en dévier ensuite l’interprétation, pour en révéler l’opposé. Une dramaturgie des directions opposées, qui confie précisément à celui qui incarne le dernier niveau hiérarchique d’une superpuissance capitaliste (le serveur de McDonald’s) le devoir de faire l’éloge de la divinité.

Dans le livret du spectacle, Garcia affirme: “La musique est la seule chose qui se rapproche de la divinité dans cette œuvre” (Garcia, 2014, p. 1). Une phrase péremptoire, qui ne nous parle pas tant de la musique que du parcours par lequel le spectateur est arrivé à elle. On comprend ainsi comment, précisément au cours de ce morceau, défini par Formenti comme “une composition de silences” (Formenti, 2011FORMENTI, Marino. Le piano est un cercueil. In: GARCIA, Rodrigo. Golgota Picnic. Besançon: Les Solitaires Intempestifs, 2011., p. 13), le spectateur peut regarder derrière soi et observer les gouffres ouverts en lui par le dispositif obscène de la première partie.

Dans une dramaturgie des directions opposées, le divin ne peut que se trouver au fond de l’obscène:

Les blasphèmes - lorsqu’ils ne sont pas de petits jurons, qui ne méritent rien d’autre que d’être interdits sur le même panneau où l’on invite à cracher dans le crachoir - sont éclairs et coups de tonnerre. Ils permettent de voir le sacré qui se niche au fond du vulgaire. C’est pourquoi ils le réactivent - le sacré - et ne le vulgarisent pas (Taviani, 2010TAVIANI, Ferdinando. Uomini di Scena Uomini di Libro. La scena sulla coscienza. Nuova edizione. Roma: Officina Edizioni, 2010. (première édition 1995)., p. 87)13 13 Version originelle : “Le bestemmie – se non sono piccole imprecazioni, che non meritano niente più che d’essere vietate nello stesso cartello in cui si invita a sputare nella sputacchiera – sono lampi e scoppi. Permettono di vedere il sacro che si annida nel fondo del volgare. Per questo lo riattivano – il sacro – e non lo volgarizzano” (Taviani, 2010, p. 87, traduit par nos soins). .

L’historien Ferdinando Taviani explique par ces mots comment Luigi Pirandello - un homme extrêmement catholique qui n’aurait jamais juré de toute sa vie - a pu concevoir un spectacle comme La Sagra del Signore della nave (L’Offrande au seigneur du navire), où des porcs sont abattus devant un Christ sanguinolent placé sur le fond de la scène. On peut envisager que le spectacle de Garcia s’insère en effet dans une tradition scénique précise, pour laquelle le théâtre - lieu par excellence où la représentation dévoile son opposé, à savoir la vie - devient le lieu privilégié du blasphème sacré, c’est-à-dire un blasphème visant à réactiver le sacré, à mettre à l’épreuve (et donc à démontrer) la solidité d’une croyance14 14 Cabantous lui-même se réfère à la célèbre scène du troisième acte de Dom Juan (celle où le protagoniste demande au mendiant de jurer en échange d’argent) pour parler de cette modalité paradoxale du blasphème: “Le blasphème, en outre, ne révèlerait pas l’athéisme des hommes, il le confirmerait simplement dans la mesure où l’athée qui le prononce ne chercherait pas à offenser un dieu hypothétique ou inexistant mais plutôt à provoquer ou à atteindre un éventuel interlocuteur fidèle pour susciter une réaction d’opposition, pour mesurer la force d’une conviction” (Cabantous, 1998, p. 189). Il n’est donc pas surprenant qu’une chercheuse de l’Università Cattolica di Milano, Annamaria Cascetta fasse une lecture similaire de la pièce de Garcia: “Dans le travail de Garcia, comme dans le travail d’autres artistes formés par une éducation chrétienne, qui affirment avoir abandonné la foi depuis longtemps, les références au Christ et à l’Évangile restent fréquentes (même obsessionnelles). Pourquoi? Pour ces artistes l’Évangile et le Christ sont un paradigme scandaleux et symbolique (comme la salvation l’est pour les croyants), qui investit l’expérience humaine, un paradigme rempli d’esprit humain et de vitalité” (Cascetta, 2014, p. 138, traduit par nos soins). Version originelle: “In Garcia, as in the work of other artists formed by Christianity, who claim to have long abandoned the faith, the references to Christ remain frequent (even obsessively so), as are the references to the Gospels. Why? To these artists the Gospel and Christ are a scandalous and symbolic paradigm (as salvation is for believers), one that invests human experience, a paradigm filled with the human spirit and vitality […]”. .

Attention, il ne s’agit pas ici d’affirmer que ce soit là le but ultime de Garcia, mais plutôt de mettre en évidence que c’est précisément le dispositif obscène qui a élargi au maximum l’éventail interprétatif du spectacle.

La Trahison des Images

Le spectacle de Garcia est donc un système fortement enchevêtré, où la lecture de la première partie serait complètement faussée sans l’expérience de la seconde15 15 Ce qui serait évident dans la description de la plupart des spectacles devient important à souligner dans l’analyse de Golgota Picnic, étant donné que la majeure partie des critiques et des recensions ont complètement ignoré ce rapport systémique entre les deux sections. .

Ainsi, il devient clair que le champ de bataille de la première partie n’est pas tant la religion que la question de la représentation elle-même, les limbes conceptuels qui se trouvent entre la représentation et l’entité.

Garcia utilise l’image du Christ comme écran sur lequel projeter les misères de la société, et non comme cible de ses critiques. C’est comme si, à chaque allusion au Christ, le metteur en scène nous rappelait, continuellement: Ceci n’est pas un Christ. Le spectacle tout entier se configure comme une réflexion mordante sur la trahison des images16 16 Un livre très intéressant pour réfléchir sur la relation entre la trahison des images et le blasphème dans les arts est celui de Kyrou et Fatmi (2015). . Prenons par exemple le début du monologue central, qui n’a pas été par hasard le paragraphe le plus critiqué:

Pour commencer, le Christ sur la croix prend bonne note de ce qu’il adviendra plus tard de son image : vu qu’il est Dieu, il a cette faculté, c’est dans ses cordes (Garcia, 2011GARCIA, Rodrigo. Golgota Picnic . Trad. fr. Christilla Vasserot. Besançon: Les Solitaires Intempestifs , 2011., p. 17)17 17 Comme dans un ultérieur jeu de miroirs, au cours du monologue l’acteur est déguisé comme la petite fille du film L’Exorciste. .

La question de l’infidélité de l’image constitue le mécanisme narratif de la pièce: sous couvert de décrire la vie quotidienne du Christ, c’est la succession des petites tortures que subit l’individu immergé dans notre contemporanéité qui est décrite18 18 “Il était inapte au quotidien. Le meilleur comme le pire. Il ne l’a jamais avoué mais il rêvait de perdre son temps comme tout un chacun, sauf qu’il avait le plus grand mal à s’amuser. Il était nul dès qu’il s’agissait de parler de foot. Incapable d’aller boire des bières, de se lancer dans une discussion sur les filles avec un pote et de rater le dernier bus” (Garcia, 2011, p. 20). . L’image, le nom, le symbole du Christ deviennent un prétexte pour développer la dramaturgie des apparences dévoilées, pour célébrer l’impossibilité d’accéder à la vérité, surtout à travers les images. Les acteurs, continuellement dénudés, rhabillés puis dénudés de nouveau, deviennent les porteurs de l’imposture des apparences, de l’impossibilité de la vérité:

Je veux dire par là que la dénonciation est aussi un mensonge. Le voile est levé, à ce qu’on dit, pour que nous ayons accès à la vérité occulte, mais tu parles: le voile est levé pour que nous tombions sur un autre voile, un mensonge sous un autre mensonge sous un autre mensonge (Garcia, 2011GARCIA, Rodrigo. Golgota Picnic . Trad. fr. Christilla Vasserot. Besançon: Les Solitaires Intempestifs , 2011., p. 25).

Cette phrase, d’inspiration visiblement schopenhauerienne, devient le manifeste de tout le spectacle, où dé-voiler l’obscène et ré-véler le divin se font dans le même mouvement.

Images, Obscénité et Pouvoir

Précisément parce qu’elle s’agite dans l’interstice entre entité et représentation, l’obscénité devient alors un puissant révélateur de la relation actuelle entre images et pouvoir, non plus religieux mais économique et commercial.

Dans le spectacle de Garcia, le pouvoir est un virus qui empoisonne le quotidien, s’enfonce dans les microcosmes de l’individu, induit et corrompt ses désirs (Tackels, 2007TACKELS, Bruno. Rodrigo Garcia. Besançon: Les Solitaires Intempestifs , 2007., p. 44-45). Les idoles contre lesquelles se déchaîne le metteur en scène ne sont pas des idoles religieuses mais des idoles commerciales, qui non seulement ont pris la place des premières dans l’imaginaire d’une bonne partie de la population, mais qui souvent en reproduisent les formes et les systèmes de prosélytisme19 19 À ce sujet, voir un documentaire très intéressant produit par la BBC en 2011 et intitulé Secret of Superbrands, où le journaliste interviewe l’archevêque de Londres, qui fait remarquer combien la stratégie esthétique et d’exposition d’Apple vise précisément à émuler les objets sacrés: chaque produit est installé à sa place, avec suffisamment d’espace autour, et placé sur un plan rehaussé, qui s’inspire justement de la dynamique spatiale d’un autel. Le documentaire est visible sur YouTube. .

Grâce à ce déplacement de cible, très lucide, le spectacle de Garcia et les réactions colériques qu’il a suscitées ont révélé un engrenage entre pouvoir économique et production d’images qui est en train de produire une mutation anthropologique relative à la perception des représentations visuelles. Il nous faut ouvrir ici une petite parenthèse.

La multiplication des Smartphones et des tablettes, devenus désormais des objets d’usage commun, a comme conséquence de permettre un accès extrêmement rapide à une énorme quantité d’images. Au même moment, les programmateurs des réseaux sociaux ont pour stratégie précise d’offrir des images à visualiser et à feuilleter rapidement, plutôt qu’à observer avec attention. Cette logique est purement commerciale, car plus on aura feuilleté d’images, plus il sera possible d’insérer des images publicitaires entre deux visualisations.

Les effets collatéraux de la diffusion désormais irrépressible de ces technologies concernent la difficulté toujours plus marquée à s’arrêter sur une image. Les images produites pour être visualisées sur internet renoncent à la recherche d’une certaine profondeur (esthétique, mais aussi conceptuelle) car elles doivent forcément offrir une signification immédiate, rapide à comprendre, sans beaucoup de détails mais qui s’adapte à une exigence précise: tenir dans la paume de la main.

Les répercussions sociales de ce mécanisme ne sont pas secondaires. La propagation instantanée d’informations rapides et peu approfondies offre à un grand nombre d’individus l’illusion de pouvoir se faire une idée d’un phénomène très complexe dans un temps très bref. C’est pourquoi une photo ou une phrase suffisent à se faire une opinion précise sur un événement. Dans ce contexte, une image obscène (blasphématoire, iconoclaste, etc.) devient l’appât idéal pour un jugement expéditif - et donc superficiel - sur une œuvre qui, comme nous avons cherché à le montrer, offre au contraire différents niveaux de profondeur et d’analyse20 20 Alors qu’il commentait la décision d’augmenter les heures d’éducation civique dans les écoles, prise au lendemain de l’attentat à Charlie Hebdo, l’artiste Mounir Fatmi, plusieurs fois accusé de blasphème dans ses travaux, affirme: “L’enjeu majeur de l’école n’est pas selon moi le retour de l’instruction civique mais la pédagogie de l’image, l’apprentissage de ce qu’est et de ce que n’est pas une image, comment on la fabrique, la manipule, etc.” (Kyrou; Fatmi, 2015, p. 43). .

Cette situation a permis à Golgota Picnic de devenir un puissant détonateur pour certaines tensions sociales, jusque-là plus ou moins latentes. C’est ainsi que la majorité des personnes qui ont attaqué ou défendu le spectacle ne l’avaient pas vu; leurs jugements se fondaient sur des informations fragmentaires parvenues par internet21 21 Le cas exemplaire est celui de la protestation en Pologne: “Tous les archidiocèses se sont prononcés contre les projections vidéo du spectacle. Personne n’avait encore vu la pièce ou des enregistrements d’elle. Comme les manifestants l’ont admis, leur connaissance de la pièce provenait d’Internet, ils avaient fait référence à des fragments de la pièce, sortis de leur contexte, qu’ils avaient trouvé sur YouTube” (Płoski; Semenowicz, 2015, p. 8, traduit par nos soins). Version originelle: “All of the archdioceses spoke out against the screenings. No one had yet seen the play or recordings of it. As the protesters admitted, their knowledge of the piece was sourced from the Internet, and they had made references to fragments of the play that had been found on YouTube and taken out of context”. .

Dans la situation française, où les institutions ont défendu le spectacle, la pièce a été utilisée par un certain extrémisme catholique pour gagner en visibilité. En Pologne, où le spectacle était programmé dans le cadre du festival MALTA de Poznań, les autorités ont, au contraire, privé le festival de toute protection, laissant les organisateurs à la merci des intégristes catholiques et les contraignant, en pratique, à annuler la représentation. Il faut évidemment tenir compte, au sujet de cette décision, de la profonde différence entre les contextes polonais et français concernant la laïcité des institutions. La réaction, cependant, fut une large mobilisation sociale en défense du spectacle22 22 Pour une description détaillée des événements (Płoski; Semenowicz, 2015). .

Bien que les institutions de ces deux pays aient adopté des postures différentes, dans les deux cas Golgota Picnic a démontré sa capacité à révéler certaines frictions latentes entre société et pouvoir.

Il faut cependant faire justice aux différences de proportion entre les mobilisations des deux pays. L’impact de la pièce sur les mobilisations polonaises a en effet surpris par son intensité et son étendue.

Comme Jacek Żakowski l’a affirmé pendant un débat sur la Place de la Liberté ‘Ce printemps, Golgota Picnic a aidé l’expérience démocratique polonaise, depuis longtemps endormie, à un nouveau réveil’. Le final symbolique de l’affaire Golgota Picnic a été la publication du texte du spectacle dans l’édition du weekend de la ‘Gazeta Wyborcza’ (du 28 juin) qui est le journal le plus influent du pays, avec un tirage de 300.000 exemplaires environ. Jamais auparavant dans l’histoire de la Pologne indépendante un journal n’avait publié une pièce de théâtre, et jamais un seul spectacle n’avait été aussi influent (Płoski; Semenowicz, 2015PŁOSKI, Paweł; SEMENOWICZ, Dorota. Golgota Picnic in Poland. An account of the events. May-July 2014. Malta Fundaja, 2015., p. 12)23 23 Version originelle: “As Jacek Żakowski put it at the debate in Freedom Square, ‘Golgota Picnic helped Poland’s long-dormant democracy experience a new awakening this spring’. The symbolic finale of the Golgota Picnic affair was the publication of the script in the weekend edition of ‘Gazeta Wyborcza’ (June 28), the country’s leading and most influential daily newspaper, with a circulation of close to 300 thousand copies. Never before in the history of an independent Poland had a newspaper published a drama, and never before had a single play been so influential” (Płoski; Semenowicz, 2015, p. 12, traduit par nos soins). .

Après l’annulation, une vague d’initiatives en défense du spectacle a traversé la population polonaise en faisant ainsi un véritable enjeu politique. De nombreux activistes sont descendus dans les rues pour lire des fragments du texte, des projections vidéo et des rencontres avec les acteurs ont été organisées. Le spectacle a explosé en une myriade d’initiatives qui se sont logées comme des épines sur tout le territoire national. La représentation a été annulée, mais le spectacle s’est décomposé, fragmenté, et a muté. Golgota Picnic est devenu autre chose. La pièce sur le rapport entre réalité et image est devenue image à son tour. Image d’une lutte contre la censure, bannière d’un nouveau réveil démocratique.

Les autorités et les pouvoirs religieux polonais qui ont empêché la représentation n’ont fait qu’arracher un nouveau voile, révéler un nouveau mensonge. Celui consistant à concevoir le théâtre comme l’art de la représentation, en oubliant qu’il s’agit avant tout de l’art des relations. Le premier peut être annulé, le second, non.

Ainsi, avec la chute d’un énième voile, Golgota Picnic s’est révélé dans sa nouvelle métamorphose et la trahison des images a survécu, trahissant jusqu’à soi-même.

Références

  • BAUDRILLARD, Jean. La Société de Consommation. Paris: Gallimard, 1970.
  • BERGER, Laurent (Coord.). Carte blanche à Rodrigo Garcia, Dossier monographique. Théâtre/Public, Montreuil, n. 220, p. 4-130, Avril-Juin, 2016.
  • BERGER, Laurent. Materia y crepúsculo de la percepción. Muerte y reencarnación en cowboy. Primer Acto: Cuadernos de investigación teatral, Madrid, n. 346, p. 154-159, 2014.
  • CABANTOUS, Alain. Histoire du Blasphème en Occident. XVIe-XIXe Siècle. Paris: Éditions Albin Michel, 1998.
  • CASCETTA, Annamaria. ‘Golgota Picnic’ by Rodrigo Garcia. Starting again from man or drowning nothingness?. Comunicazioni Sociali, Milano, Vita e Pensiero Editrice, Pubblicazioni dell’Università Cattolica del Sacro Cuore, v. 36, n. 1, p. 129-138, 2014.
  • CASTRO FLÓREZ, Fernando. Hasta la risa está enmierdada. Una aproximación al teatro indignado de Rodrigo Garcia. Primer Acto: Cuadernos de investigación teatral , Madrid, n. 346, p. 114-119, 2014.
  • CAVAILLÉ, Jean-Pierre. Les intégristes et le théâtre (France, octobre-décembre 2011): un conflit d’acceptabilité. In: MARINHO, Cristina; RIBEIRO, Nuno Pinto; TOPA, Francisco (Org.). Teatro do Mundo: teatro e Censura. Porto: Centro de Estudos Teatrais Universidade do Porto, 2013. P. 87-111.
  • FAVRET-SAADA, Jeanne. Rushdie et compagnie, préalable à une anthropologie du blasphème. Ethnologie française, Paris, n. 3, p. 251-260, 1992.
  • FORMENTI, Marino. Le piano est un cercueil. In: GARCIA, Rodrigo. Golgota Picnic. Besançon: Les Solitaires Intempestifs, 2011.
  • GARCIA, Rodrigo. Golgota Picnic . Trad. fr. Christilla Vasserot. Besançon: Les Solitaires Intempestifs , 2011.
  • GARCIA, Rodrigo. Texte du livret relatif à la pièce mise en scène du 28 au 30 octobre 2014 au théâtre Humain trop Humain - CDN Montpellier. Montpellier, 2014.
  • HELIOT, Armelle. Golgota Picnic ne vaut pas un scandale. Le Figaro, Paris, 7 décembre 2011.
  • KYROU, Ariel; FATMI, Mounir. Ceci n’est pas un Blasphème. La trahison des images: des caricatures de Mahomet à l’hypercapitalisme. Paris: Dernière marge, 2015.
  • MACASDAR, Philippe. Un espectador que no se escandaliza es un espectador muerto. Primer Acto: Cuadernos de investigación teatral , Madrid, n. 346, p. 141-145, 2014.
  • PŁOSKI, Paweł; SEMENOWICZ, Dorota. Golgota Picnic in Poland. An account of the events. May-July 2014. Malta Fundaja, 2015.
  • SALINO, Brigitte. Chez Rodrigo Garcia, le sauveur c’est le verbe. Le Monde, Paris, 08 décembre 2011.
  • TACKELS, Bruno. Rodrigo Garcia. Besançon: Les Solitaires Intempestifs , 2007.
  • TAVIANI, Ferdinando. Uomini di Scena Uomini di Libro. La scena sulla coscienza. Nuova edizione. Roma: Officina Edizioni, 2010. (première édition 1995).
  • 1
    Jean-Pierre Cavaillé a fait une analyse ethnolinguistique très intéressante du discours et de la composition de ces groupes (Cavaillé, 2013CAVAILLÉ, Jean-Pierre. Les intégristes et le théâtre (France, octobre-décembre 2011): un conflit d’acceptabilité. In: MARINHO, Cristina; RIBEIRO, Nuno Pinto; TOPA, Francisco (Org.). Teatro do Mundo: teatro e Censura. Porto: Centro de Estudos Teatrais Universidade do Porto, 2013. P. 87-111.).
  • 2
    Voir aussi Baudrillard (1970BAUDRILLARD, Jean. La Société de Consommation. Paris: Gallimard, 1970.).
  • 3
    Au cours des siècles passés la particularité du blasphème consistait précisément dans sa capacité à révéler la dialectique entre société et instances de contrôle, que celles-ci soient religieuses ou institutionnelles: “L’étude de la ‘parole impie’ dévoile très vite l’enjeu essentiel: celui des relations entre les sociétés et les pouvoirs” (Cabantous, 1998CABANTOUS, Alain. Histoire du Blasphème en Occident. XVIe-XIXe Siècle. Paris: Éditions Albin Michel, 1998., p. 11).
  • 4
    Voir aussi Salino (2011SALINO, Brigitte. Chez Rodrigo Garcia, le sauveur c’est le verbe. Le Monde, Paris, 08 décembre 2011.); Heliot (2011HELIOT, Armelle. Golgota Picnic ne vaut pas un scandale. Le Figaro, Paris, 7 décembre 2011.).
  • 5
    La question du jeu des acteurs de Rodrigo Garcia est très complexe. Laurent Berger (2016BERGER, Laurent (Coord.). Carte blanche à Rodrigo Garcia, Dossier monographique. Théâtre/Public, Montreuil, n. 220, p. 4-130, Avril-Juin, 2016.) en a parlé récemment dans une interview très intéressante: Loriente, Cunill, Navarro, Lloansi, Escamilla, Romero, Berger.
  • 6
    Les acteurs sont Gonzalo Cunill, Núria Lloansi, Juan Loriente, Juan Navarro, auxquels s’ajouteront, dans un second moment du spectacle, Jean-Benoît Ugeux et le pianiste Marino Formenti.
  • 7
    Version originelle: “Rodrigo Garcia conoce de sobra ‘el virus del poder’, eso que anula todas las libertades y genera en el mundo una plaga de fealdad y cutrez. Su teatro satírico es, en buena medida, una ontología de lo sórdido. Su escritura compulsiva nos ofrece un cuaderno de bitácora de la putrefacción contemporánea que, con una energía demencial termina por presentarse como obsceno vandalismo” (Castro Flórez, 2014CASTRO FLÓREZ, Fernando. Hasta la risa está enmierdada. Una aproximación al teatro indignado de Rodrigo Garcia. Primer Acto: Cuadernos de investigación teatral , Madrid, n. 346, p. 114-119, 2014., p. 117, traduit par nos soins).
  • 8
    L’intervention de l’historienne Jeanne Favret-Saada est intéressante à ce sujet. Selon elle, le concept de blasphème peut en effet être étudié presque exclusivement dans sa dimension systémique, à savoir en rapport avec la société, et aux codes qui le définissent comme tel: “Un énoncé n’est pas qualifié de blasphème en raison d’un contenu qui lui serait particulier mais par une opération de jugement [...] Il n’est pas de blasphème en l’absence de juridiction” (Favret-Saada, 1992FAVRET-SAADA, Jeanne. Rushdie et compagnie, préalable à une anthropologie du blasphème. Ethnologie française, Paris, n. 3, p. 251-260, 1992., p. 257).
  • 9
    Ce dispositif provoque parfois une situation très singulière pour le spectateur, dans la mesure où celui-ci voit l’acteur en chair et en os s’adresser à la caméra tandis que son image, agrandie sur le fond de la scène, semble s’adresser directement à lui. Paradoxalement, c’est alors l’image de l’acteur, et non l’acteur lui-même, qui s’adresse au spectateur.
  • 10
    Cette tentative est explicitée dans le texte même du spectacle: “Elle est révolue, l’époque où on jouait sa vie pour des causes perdues, où on risquait sa peau. À présent, tout se fait avec de la distance, à distance, avec froideur et, paraît-il, intelligence. Tu parles. Peu importe qu’il s’agisse d’un maire ou d’un artiste conceptuel: vous faites des mouvements, des mimiques et votre auditoire esquisse illico ce petit sourire à la con qui sous-entend ‘je t’ai compris, j’ai pigé, j’ai saisi le clin d’œil, tu fais allusion à Godard, j’imagine’. Une communauté spécialisée dans les clins d’œil. En somme, toute votre vie n’est que clins d’œil” (Garcia, 2011FORMENTI, Marino. Le piano est un cercueil. In: GARCIA, Rodrigo. Golgota Picnic. Besançon: Les Solitaires Intempestifs, 2011., p. 29).
  • 11
    Version originelle: “¿Y si la provocación fuera, en el fondo [...] la manera más autentica de entrar en contacto con el espectador, reconociéndolo como un verdadero socio, como coproductor del espectáculo que se está representando? ” (Macasdar, 2014, p. 142, traduit par nos soins).
  • 12
    Laurent Berger écrit à ce sujet, établissant un parallèle avec un autre diptyque de Garcia, Muerte y reencarnación en cowboy: “Comme dans Golgota Picnic […], la force de la composition réside dans la manière dont les sédiments de la mémoire reçoivent et interprètent à la distance le second mouvement du spectacle, et dans la conviction que cette interprétation appartient a chacun personnellement” (Berger, 2014BERGER, Laurent. Materia y crepúsculo de la percepción. Muerte y reencarnación en cowboy. Primer Acto: Cuadernos de investigación teatral, Madrid, n. 346, p. 154-159, 2014., p. 158, traduit par nos soins). Version originelle : “Como en Gólgota Picnic […], la fuerza de la composición reside en la manera en la que los sedimentos de la memoria recibe e interpretan en la distancia el segundo movimiento del espectáculo y en la convicción de que esa interpretación nos pertenece individualmente”.
  • 13
    Version originelle : “Le bestemmie – se non sono piccole imprecazioni, che non meritano niente più che d’essere vietate nello stesso cartello in cui si invita a sputare nella sputacchiera – sono lampi e scoppi. Permettono di vedere il sacro che si annida nel fondo del volgare. Per questo lo riattivano – il sacro – e non lo volgarizzano” (Taviani, 2010, p. 87, traduit par nos soins).
  • 14
    Cabantous lui-même se réfère à la célèbre scène du troisième acte de Dom Juan (celle où le protagoniste demande au mendiant de jurer en échange d’argent) pour parler de cette modalité paradoxale du blasphème: “Le blasphème, en outre, ne révèlerait pas l’athéisme des hommes, il le confirmerait simplement dans la mesure où l’athée qui le prononce ne chercherait pas à offenser un dieu hypothétique ou inexistant mais plutôt à provoquer ou à atteindre un éventuel interlocuteur fidèle pour susciter une réaction d’opposition, pour mesurer la force d’une conviction” (Cabantous, 1998, p. 189). Il n’est donc pas surprenant qu’une chercheuse de l’Università Cattolica di Milano, Annamaria Cascetta fasse une lecture similaire de la pièce de Garcia: “Dans le travail de Garcia, comme dans le travail d’autres artistes formés par une éducation chrétienne, qui affirment avoir abandonné la foi depuis longtemps, les références au Christ et à l’Évangile restent fréquentes (même obsessionnelles). Pourquoi? Pour ces artistes l’Évangile et le Christ sont un paradigme scandaleux et symbolique (comme la salvation l’est pour les croyants), qui investit l’expérience humaine, un paradigme rempli d’esprit humain et de vitalité” (Cascetta, 2014, p. 138, traduit par nos soins). Version originelle: “In Garcia, as in the work of other artists formed by Christianity, who claim to have long abandoned the faith, the references to Christ remain frequent (even obsessively so), as are the references to the Gospels. Why? To these artists the Gospel and Christ are a scandalous and symbolic paradigm (as salvation is for believers), one that invests human experience, a paradigm filled with the human spirit and vitality […]”.
  • 15
    Ce qui serait évident dans la description de la plupart des spectacles devient important à souligner dans l’analyse de Golgota Picnic, étant donné que la majeure partie des critiques et des recensions ont complètement ignoré ce rapport systémique entre les deux sections.
  • 16
    Un livre très intéressant pour réfléchir sur la relation entre la trahison des images et le blasphème dans les arts est celui de Kyrou et Fatmi (2015KYROU, Ariel; FATMI, Mounir. Ceci n’est pas un Blasphème. La trahison des images: des caricatures de Mahomet à l’hypercapitalisme. Paris: Dernière marge, 2015.).
  • 17
    Comme dans un ultérieur jeu de miroirs, au cours du monologue l’acteur est déguisé comme la petite fille du film L’Exorciste.
  • 18
    “Il était inapte au quotidien. Le meilleur comme le pire. Il ne l’a jamais avoué mais il rêvait de perdre son temps comme tout un chacun, sauf qu’il avait le plus grand mal à s’amuser. Il était nul dès qu’il s’agissait de parler de foot. Incapable d’aller boire des bières, de se lancer dans une discussion sur les filles avec un pote et de rater le dernier bus” (Garcia, 2011, p. 20).
  • 19
    À ce sujet, voir un documentaire très intéressant produit par la BBC en 2011 et intitulé Secret of Superbrands, où le journaliste interviewe l’archevêque de Londres, qui fait remarquer combien la stratégie esthétique et d’exposition d’Apple vise précisément à émuler les objets sacrés: chaque produit est installé à sa place, avec suffisamment d’espace autour, et placé sur un plan rehaussé, qui s’inspire justement de la dynamique spatiale d’un autel. Le documentaire est visible sur YouTube.
  • 20
    Alors qu’il commentait la décision d’augmenter les heures d’éducation civique dans les écoles, prise au lendemain de l’attentat à Charlie Hebdo, l’artiste Mounir Fatmi, plusieurs fois accusé de blasphème dans ses travaux, affirme: “L’enjeu majeur de l’école n’est pas selon moi le retour de l’instruction civique mais la pédagogie de l’image, l’apprentissage de ce qu’est et de ce que n’est pas une image, comment on la fabrique, la manipule, etc.” (Kyrou; Fatmi, 2015, p. 43).
  • 21
    Le cas exemplaire est celui de la protestation en Pologne: “Tous les archidiocèses se sont prononcés contre les projections vidéo du spectacle. Personne n’avait encore vu la pièce ou des enregistrements d’elle. Comme les manifestants l’ont admis, leur connaissance de la pièce provenait d’Internet, ils avaient fait référence à des fragments de la pièce, sortis de leur contexte, qu’ils avaient trouvé sur YouTube” (Płoski; Semenowicz, 2015, p. 8, traduit par nos soins). Version originelle: “All of the archdioceses spoke out against the screenings. No one had yet seen the play or recordings of it. As the protesters admitted, their knowledge of the piece was sourced from the Internet, and they had made references to fragments of the play that had been found on YouTube and taken out of context”.
  • 22
    Pour une description détaillée des événements (Płoski; Semenowicz, 2015).
  • 23
    Version originelle: “As Jacek Żakowski put it at the debate in Freedom Square, ‘Golgota Picnic helped Poland’s long-dormant democracy experience a new awakening this spring’. The symbolic finale of the Golgota Picnic affair was the publication of the script in the weekend edition of ‘Gazeta Wyborcza’ (June 28), the country’s leading and most influential daily newspaper, with a circulation of close to 300 thousand copies. Never before in the history of an independent Poland had a newspaper published a drama, and never before had a single play been so influential” (Płoski; Semenowicz, 2015, p. 12, traduit par nos soins).
  • 54
    Ce texte inédit, traduit de l’italien par Suzanne Dufour et révisé par André Mubarack, est également publié en portugais dans ce numéro.

Publication Dates

  • Publication in this collection
    22 Feb 2018
  • Date of issue
    Apr-Jun 2018

History

  • Received
    06 Nov 2016
  • Accepted
    14 Nov 2017
Universidade Federal do Rio Grande do Sul Av. Paulo Gama s/n prédio 12201, sala 700-2, Bairro Farroupilha, Código Postal: 90046-900, Telefone: 5133084142 - Porto Alegre - RS - Brazil
E-mail: rev.presenca@gmail.com